mardi 30 août 2016

OUI le maquillage est un outil d'oppression, il n'est pas le seul, preuve en mots.


Ce week end Alicia Keys a participé aux MTV Video Music Awards et s'est mangée dans la figure une belle tranche de patriarcat. 

Si vous ne le saviez pas, la talentueuse chanteuse a décidé récemment de ne plus porter de maquillage pour apprendre à s'aimer comme elle est et, surtout, pour lui permettre de s'extirper de ce qu'elle ressentait comme une oppression, à savoir d'être constamment maquillée. Elle s'explique ainsi:  

"A chaque fois que je quittais la maison sans être maquillée, je m'inquiétais : Et si quelqu'un me demandait une photo ? Et s'il la postait ?" Ces pensées témoignaient de mon insécurité, de ma superficialité mais elles étaient profondément honnêtes." 
"Tout ceci, d'une manière ou d'une autre, se basait beaucoup trop sur ce que les gens pouvaient penser de moi." (1)

Donc après les VMAs (où elle ne portait pas de maquillage) de nombreux twittos et autres réseauteurs y sont allés de leur petit commentaire, affirmant soit qu'elle ne pouvait pas ne pas avoir mis de maquillage, soit qu'elle aurait dû en mettre parce qu'elle ne ressemble à rien... (2)
Alors tout d'abord, noues ne les remercierons pas de leur avis.
Mais noues utiliserons quand même cet exemple concret pour illustrer la triste réalité: 

OUI les femmes subissent des pressions qui leurs demandent de porter du maquillage.
En fait, ça va même plus loin : ces pressions sont multiples et s'inscrivent dans un continuum de règles qui établissent la norme sociale. Lorsqu'une femme ne fait pas ce qu'on attend d'elle, et ainsi sort de cette norme, la répression est automatique et on la forcera à re-intégrer les rangs qu'elle a quittés. Selon les sociétés et les cultures, les normes pour rentrer dans ces rangs sont différentes. En Occident, par exemple, il est attendu des femmes d'être "libérées" dans leur façon d'être, sans être trop sexuellement actives non plus. Elles se doivent de s'habiller de façon plutôt "féminine" (dans le sens du féminin attendu et défini par la société), de porter un bikini par exemple, ou encore de mettre du maquillage, de s'épiler... Mais cette norme, c'est aussi d'être douce, ne pas être autoritaire, ne pas être "castratrice" ou encore ne pas être lesbienne, etc... La norme est donc ainsi par cette répression, un outil d'oppression. Cette répression peut aller du simple harcèlement, aux violences physiques et ce en passant par les menaces.
Les exemples de ce genre de répression sont HYPER répandus dans les médias. Parmi les exemples les plus récents de répression dans les fictions, nous avons ceux présents dans la série Game Of Thrones où le viol est une violence omniprésente utilisée dans un but répressif. Tous les personnages féminins ne sont pas violés, mais la menace plane constamment au-dessus de leur tête. On remarque très vite que les personnages féminins qui subissent cette violence sont celles qui ne rentrent pas dans les clous. Les exemples sont nombreux : 
  • Cersei, l’incestueuse qui se veut aussi politicienne et manipulatrice, est violée par Jaime. 
  • Brienne de Tarth qui veut être reconnue comme chevalier, est menacée de viol dans un épisode appelé « Walk of Punishment » (la marche punitive), et est sauvée in extremis par Jaime Lannister. 
  • Meera Reed qui joue le rôle de garde du corps de son frère, un rôle qui échappe au cliché du féminin traditionnel, est menacée de viol par Karl quand elle ne se soumet pas à lui. 
  • De la même façon, lorsque Ramsay Bolton viole Sansa, elle est en réalité à un moment de sa construction où elle n’est plus la jeune femme craintive des premières saisons, mais où elle commence à montrer sa force. 
  • Et quand bien même Arya n’est pas ouvertement menacée de viol, elle est quand même une jeune fille qui défie la définition traditionnelle de la féminité, et son choix de se déguiser en garçon à partir de la saison deux est significatif. 
  • Liste à compléter. 

Un autre exemple du cinéma qui, lui, dénonce très bien cette utilisation sociétale du viol est Boys Don't Cry (1999) de Kimberly Peirce. Ce film parle d’un jeune homme qui quitte sa ville pour construire sa vie après que son ex-petite-amie se soit rendue compte qu’il est transsexuel. Brandon Teena, joué par Hillary Swank, est violée par deux hommes vers la fin du film. Ce viol montre et dénonce complètement le caractère de répression que ces hommes veulent infliger à Brandon, car ils veulent le « remettre » à sa place de femme. Ainsi, pour reprendre l’analyse de Laura Mulvey (annaliste et théoricienne spécialiste du cinéma)


“The image of the woman is fundamentally ambiguous in that it combines attraction and seduction with an evocation of castration anxiety.” 

« L’image de la femme est fondamentalement ambiguë en ce qu’elle combine l’attirance de l’homme et la séduction avec l’évocation de l’angoisse de la castration. »
(And the Mirror Cracked : Feminist Cinema and Film Theory, A Smelik)


Pour apaiser cette angoisse, le cinéma et les cinéastes ont rendu la femme coupable, et Mulvey prend en exemple des films d’Alfred Hitchcock. La femme est alors soit punie, soit sauvée ou remise dans le droit chemin. Il est intéressant de voir comment, même si la représentation des personnages féminins a bien changée depuis Hitchcock, ce concept de punition apparaît toujours en 2016. Les femmes qui ne se conforment pas à leur rôle traditionnel sont de plus en plus représentées, mais la menace de la répression reste toujours présente pour demeurer dans cette structure narrative centrée sur le regard masculin.

Et cette répression, représentée et utilisée par les médias, se reproduit dans la société. Je vous donne l'exemple du maquillage où la chanteuse émancipée se fait harcelée pour son choix. Fin juillet 2016, l'autrice féministe Jessica Valenti quittait Twitter à cause des menaces de viol proférées à l'encontre de sa fille (de 5 ans...) (3) en réaction à ses propos et ses articles pro-égalité. Pareil, il n'est plus necessaire de citer la blogueuse et analyste féministe Anita Sarkeesian, victime de nombreuses menace de mort après avoir analysée la représentation des femmes dans les jeux vidéos... (4)

Ces répressions, d'après Laura Mulvey et de nombreux auteurs et autrices, sont le fruit d'angoisses. Oui, une femme qui ne se conforme pas à la norme devient le fruit d'angoisses pour les hommes, puisqu'une femme qui ne suit plus les règles redéfinit la féminité sociale et vient ainsi redéfinir la masculinité qui se construit en miroir à la féminité. L'homme non seulement semble ne plus avoir le contrôle sur la femme qui s'émancipe des règles qui ont fait d'elle uniquement un objet de désir, mais vient aussi dire que les règles qui régissent masculin et féminin sont floues. De cette incertitude naît la peur de se faire voler sa place d'homme (voir article qu'il faut que j'écrive sur le masculin et sa définition). Cette angoisse est aussi présente chez les femmes qui, elles, n'ont pas réussi à se détacher de cette norme, à la déconstruire, et cette libération leur renvoie, de manière plus ou moins consciente, à leur propre enfermement. 

Cela ne signifie pas que celles qui respectent ces règles sont à montrer du doigt, bien au contraire. Les stigmatiser leur ferait porter la double peine. Cela signifie plutôt qu'il est nécessaire de respecter et soutenir celles qui décident de ne pas le faire, car c'est loin d'être facile de déconstruire cette oppression sur soie pour ensuite subir cette répression. 

Il est important aussi de savoir reconnaitre l'équivalent de ces "règles" venant de cultures différentes, et de les accepter, de ne pas les stigmatiser, si possible d'en comprendre toute la complexité et ce que signifie pour les femmes de les suivre ou de ne pas le faire. Dans une France qui est venue interdire aux femmes l'accès à un espace public à cause d'une tenue (le burkini pour celles et ceux qui vivent dans une grotte). Cet exemple est extrêmement révélateur des oppressions que subissent les femmes en Occident et de leurs intersections avec le racisme présent en France. Tout comme la loi de 2004 qui, de manière détournée, restreint l'accès à l'éducation d'une certaine frange de la population (gros spoiler: des femmes racisées musulmanes), le burkini et le voile deviennent alors des instruments pour garder sous contrôle cette population et lui apprendre à se sentir illégitime dans l'espace public en France. Illégitimité que ces femmes vont porter et peut-être transmettre à leurs enfants par le biais de la socialisation. C'est ainsi qu'on garde sous contrôle des populations entières de personnes immigrées et qu'elles n'ont plus le courage de manifester leur mécontentement devant l'absurdité de certaines lois, comme celle de 2004 (Christine Delphy dans Je ne suis pas féministe mais, de Florence Tissot et Sylvie Tissot, 2015). 

Et ainsi je conclurais sur le fait que cette répression et cette oppression faites à travers la norme est en réalité un mécanisme qui crée un sentiment d'illégitimité chez les femmes. Pour elles, pour valoir quelque chose dans la société, il faut être irréprochables, soit suivre ces règles à la lettre. Dans mes précédents articles j'expliquais comment utiliser des outils patriarcaux étaient parfois nécessaire et permettait aux femmes de s'émanciper d'une condition pire, ou par exemple de s'élever socialement. Mais c'est donc pour elles, une oppression et une source d'illégitimité, si ne pas se conformer pas à ces règles strictes empêchent une émancipation et une ascension sociale. Il est donc, à mon sens, plus que nécessaire de pouvoir dénoncer ces outils d'oppression, et détruire cette fameuse répression qui lui est attachée et qui restent des marqueurs de cette oppression, donc être bienveillante envers celles qui décident de braver l'interdit et envers celles qui ont besoin de se conformer. 





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