samedi 26 novembre 2016

Comment je suis devenue abolitioniste.



Je suis une femme née dans les années 80 et donc de la génération post révolution sexuelle. j'ai grandi dans l'idée que je pouvais disposer de mon corps et que j'aurais accès à la contraception et à l'avortement si j'en faisais le choix. J'ai aussi grandi dans cette idée que le grand méchant loup de la domination c'était la religion (catholique dans mon cas d'éducation) qui à cause de sa morale ne voulait pas me laisser avoir autant d'orgasmes que je le souhaitais.
Résultat, j'ai toujours été très proche de mon corps et de mon désir. J'ai cherché à l'explorer, parfois de manière maladroite, mais surtout sans tabou et avec le maximum de désir, pas seulement du consentement (on en reparlera de cette différence!) j'ai eu beaucoup d'expériences, à deux ou à plus, et avec des personnes de sexes différents. J'ai donc grandi et ouvert ma sexualité dans l'idée que personne ne pouvait m'en empêcher et que personne ne devait restreindre la sexualité des femmes.

Je consomme donc je suis. 

Mais nous vivons dans un monde où il faut montrer qu'on est libre et prouver notre liberté aux autres. Internet en est la preuve existante. Ces preuves passent par la consommation et mon désir était complètement emprunt des cette notion. Je n'attendais pas que le fantasme grandisse et s'épanouisse, je l'assouvissait parfois avant même qu'il ne se soit exprimé dans mon corps, pour pourvoir dire que "je l'ai fait". Je prenais du plaisir, la plupart du temps seulement. Et j'avais en tête l'idée que quand je n'avais pas eu de partenaire une semaine ou deux de suite, je perdais ma jeunesse et je passais à coté de quelque chose. Mon désir ne constituait plus uniquement ce que je voulais mais aussi ce qu'on attendait de moi, en tant que "femme libérée". Posez vous un instant et demandez vous comment "femme libérée" se définie d'après vous, d'après les médias et les personnes qui vous entoure.
Le problème c'est que lorsqu'on est dans le registre de la consommation, celui de l'argent est intimement lié. Mêler l'idée d'érotisme et de consommation, comme le fait la société libérale, lie le tout avec l'argent. A cette époque je voyais l'abolition de la prostitution comme un système moralisateur qui venait empêcher des femmes de faire ce qu'elles voulaient de leur corps. Et comme dans ma tête érotisme et consommation allaient ensemble, critiquer la consommation signifiait critiquer l'érotisme. Ainsi me dire que cet vision de l'érotisme pouvait être une violence me faisait sortir de mes gonds. J'évaluais la société de façon binaire : soit on est dans le consumérisme soit on est dans la morale. J'étais contre tous les discours qui critiquaient la prostitution et donc le droit d'une femme (ou comme je le croyais) à gagner de l'argent comme cela. j'étais dans l'idée que légaliser la prostitution et la réglementer était la solution. 

Le Monde n'est pas Binaire. 


Puis j'ai compris entre temps que le féminisme c'était beaucoup une histoire de déconstruction d'une structure qui t'a appris à penser, à réfléchir et aussi à croire d'une certaine façon. Et que déconstruire, ce n'est pas seulement s'opposer à un mouvement oppressif (ici la religion et sa morale anti-choix) mais en repérant grâce aux statistiques et aux témoignages les zones où il y a des rapports de genre inégalitaires et en essayant de remonter aux origines sociales de ces disparités.

Alors quand ma directrice de recherche m'a répondu, un jour que je défendais une énième fois le droit des femmes à "se prostituer": "Oui mais dans les faits 85% des prostituées sont des femmes et 99% des clients sont des hommes, il y a donc un rapport de genre inégalitaire." Je suis restée muette. je n'avais pas voulu le voir et d'ailleurs à ce moment précis je ne voulais pas le voir. Mais ça m'intriguait, ça a été le déclic, il fallait que je déconstruise.

S'en est suivi 3 mois de lectures d'articles, d'études et de livres pour ou contre la question pour commencer à changer mon avis.
Il faut dire que ça n'a pas été simple et que je me suis battue contre énormément d'idées reçues, de mensonges voués à me faire peur, et à détester littéralement les personnes luttant pour l'abolition du système prostitueur. Sur internet, le mouvement libéral attaque violemment les abolitionistes, les insultant, dénigrant leur parole et ne leur offrant aucune tribune pour débattre comme si elle étaient le FN du féminisme. 

J'ai compris que nous vivions dans un système très binaire, qui aime opposer les idées : pour ou contre l'avortement, le mariage pour tous, l'euthanasie etc... Les choses ne sont pas du tout si simple. Dans le cas du débat pour la prostitution, on a l'impression que s'oppose uniquement le consumérisme libéral et la morale religieuse oppressive. Les abolitionistes en critiquant le système de consommation libéral sont automatiquement rattachée à la morale pudibonde religieuse oppressive. On les accuse alors de ne pas respecter la parole des personnes prostituées, de ne pas aimer le sexe et l'érotisme, de toujours le voir comme un viol, ou encore de vouloir contrôler le corps des femmes, et des hommes. 
Mais je me suis bien rendue compte qu'en réalité les abolitionnistes sont les seules à écouter vraiment les personnes en situation de prostitution. 
Premièrement elles ont énormément de témoignages, qu'elles relayent constamment sur leurs médias, et ce, contrairement à ce que j'ai souvent entendu dire de la part du STRASS. 
Deuxièmement elles travaillent directement avec ces personnes, leurs offrant simplement un endroit où discuter, un accompagnement pour des démarches et surtout une porte de sortie si (et seulement si!) les personnes prostituées le souhaitent. Elles reconnaissent la parole des personnes en situation de prostitutions, car elles entendent que des violences existent. Suivant les études (et les définitions du coup), 46 à 70% des personnes en situation ou ayant été en situation de prostitution présentent les symptômes de syndrome post traumatique telles que la dissociation. De la même façon, l'Amicale du Nid explique qu'une personne en situation de prostitution a 60 à 120 fois plus de risques de mourir de mort violente et que des meurtre de prostituées par des clients ou des proxénètes arrivent tous les jours, en France. On recense 71% des personnes prostituées qui disent avoir subis des violences physiques avec dommages corporels, c'est sept fois plus que la population générale des femmes, sachant que l'on sait que les femmes ont du mal à exprimer qu'elles ont été victimes de violences, que le 10% concernant la population générale n'est pas représentatif et que beaucoup sont dans le déni des violences ou préfèrent se taire. Ici elles sont plus de 70% à oser le dire. C'est très important de reconnaitre que la situation de prostitution est intrinsèquement liée aux violences, même dans les cas où elles parlent de choix, elles subissent ou risquent de subir ces violences de la part des clients. 

Parlons de ce "choix" justement. Premièrement les chiffres sont très clairs : les études gouvernementales recensent que 90% des personnes en situation de prostitution en France sont d'origine étrangère donc contrainte par des circonstances (diplôme pas reconnu, ne parlent pas la langue, n'ont pas d'accès à un moyen de rémunération excepté la prostitution) ou montre l'emprise croissante des réseaux. A coté de cela, nombreuses sont celles qui ont été contraintes par la drogue, ou par un conjoint ou un camarade de classe. Une étude sur 9 pays recensait que 89% d'entre elles souhaitaient sortir de la prostitution immédiatement si elles le pouvaient. Sachant que la démographie de Toronto n'a pas énormément d'immigration comme en France, et donc moins de réseaux de prostitution qui jouent sur les flux migratoires (les réseaux sont tout autres làbas, et touchent énormément les femmes autochtones). De ce fait elles n'ont pas le "choix".
Ajoutons à cela le simple fait que l'on vit dans une société structurée, qui se reproduit à travers des institutions qui façonnent notre façon de voir les choses. Comme les sociologues se tuent à nous le dire depuis des décénnies le choix est construit et non libre, sinon pourquoi voulons nous tous avoir la même chose? Pourquoi avons nous tous la même vision de la réussite? de la famille? etc... Pour les anglophones cette petite bande dessinée est très claire pour représenter le choix. Donc le choix quand il existe (si il existe) est très restreint et certainement pas libre d'emprise. 
Oui je sais ça fait mal de savoir ça. 

Résultats de l'équation, les violences sont intrinsèques et le choix est contraint. Que faire lorsqu'on a un système d'exploitation et de violence? L'abolir! 

Pour cela il faut comprendre ce système. Dans le cas de la prostitution, c'est la demande qui créée l'offre. c'est le fait que des hommes soient prêt à payer, parfois de très grosses sommes d'argent, pour avoir accès à une femme, pour posséder une femme à un moment donné. A partir de là l'offre s'organise là ou d'autres hommes, les proxénètes, y voient un occasion de se faire de l'argent. Soient ils montent des réseaux, c'est d'ailleurs l'idée reçue la plus répandue. Soit ils poussent leur petite copine à vendre son corps, et joue de l'emprise qu'ils ont sur elles, une réalité moins connue mais terriblement répandue.  
petite parenthèse: et oui il y a des mécanismes d'emprise! comme avec les femmes victimes de violences, qui restent auprès de leurs conjoint violent par... emprise! la prostitution c'est pareil.

Certains et certaines osent dire que c'est un moindre mal et qu'il faut légaliser.... Or la légalisation de la prostitution dans un pays comme l'Allemagne (démographie similaire à la France) a multiplié par 10 le nombre de personnes en situation de prostitution (700 000 à ce jour), n'a pas fait baisser les violences. Ce système entraine également que les jeunes hommes qui veulent avoir accès à de l'argent facilement, préfèrent vendre des femmes plutôt que de la drogue, et les prostituées Allemandes n'ont été qu'une centaine à se déclarer quand l'état le leur a offert... Donc pour attaquer la prostitution, la seule solution efficace c'est d'attaquer la demande et donc le client.

De plus lorsque l'on sait que 90%, souhaiteraient sortir immédiatement de la prostitution, pouvons nous imaginer mettre en place une loi qui favoriserait les 10% restant? C'est à dire mettre en place une loi pour les 10% les plus riches en somme

Vient donc la question très répandue : est ce que pénaliser le client ne précariserait pas les prostituées?
Premièrement dire que pénaliser le client, comme dans la loi du 13 Avril, c'est précariser les personnes prostituées, c'est déjà oublier de dire que avant cette loi les femmes dans cette situation pouvaient être arrêtées pour racolage, et donc ne portaient pas plainte en cas de violences de peur d'être arrêtées, car elle pensaient elles, être dans l'illégalité. La pénalisation renverse ce rapport de force. Les femmes en situation de prostitution peuvent porter plainte et dénoncer un client, elles ne sont plus celles qui sont dans le collimateur de la police, et la police, toujours d'après cette loi, doit les protéger (la violences contre les personnes en situations de prostitution est reconnue comme une circonstance aggravante). La loi automatise également le fait que les personnes d'origines étrangères se voient attribuer des papiers si elles portent plaintes.
De dire qu'il faut légaliser pour le moindre mal, et que pénaliser le client serait une violences de plus, c'est faire du chantage sur le dos de ces femmes qui souffrent de violences, d'emprise et risques leurs vies. C'est ne pas protéger celles qui pourraient tomber dans ces système. C'est dire qu'il ne faut pas changer les choses sous peine de représailles de la part des clients et des proxénètes, finalement.

De plus la loi offre une porte de sortie, des aménagements pour qu'elles puissent enfin échapper aux violences et à l'emprise des proxénète. Le problème actuellement est que, même si les associations ont toutes les stratégies en main, les élus ne font rien. Sur les 20 millions d'euros par ans promis pour mettre en place un accompagnement des personnes souhaitant sortir de la prostitution, seulement 6 millions à été accordé. 6 millions pour la France entière, on parle de 20 000 à 40 000 personnes dans cette situation, on parle d'accompagnement, de relogement, de stage pour reprendre confiance, retrouver un emploi, de sensibilisation auprès des acteurs et agents dans les communes (la police, les hôpitaux, les agents de la ville etc...) et des jeunes, on parle d'aide psychologique, de frais de justice, etc... Même 20 millions c'est peu pour tout ça. De plus, lorsque les associations vont vers les élus, ceux ci répondent que la prostitution n'existe pas chez eux! Comme si ils étaient les seuls irréductibles gaulois qui avaient échappé à la traite? Il est très compliqué pour les associations seules d'arriver à les convaincre même si par exemple le travail fait dans le 93 est un exemple de réussite. 

C'est le système politique actuel qui enraye la moindre politique sociale et donc qui précarise. 

La prostitution est un système de violences. Ce postulat ne vient en rien abimer le droit des femmes à faire ce qu'elles souhaitent de leur corps, à profiter de l'érotisme et de leurs désirs comme elles le souhaitent. La sexualité, et la liberté de la sexualité, c'est de faire ce que l'on désir sans contrainte, qu'elle soit par rapport à un amoureux qui contraint, ou à la société qui te dit que c'est comme ça qu'il faut faire (hétéronormativité) ou encore que c'est bien d'en faire beaucoup et de consommer, ou encore de ne surtout rien faire du tout, ou encore à cause de contraintes financières. 

Ne pas reconnaitre la parole de celles qui dénoncent les violences qu'elles ont subie, ne pas reconnaitre les chiffres, c'est une fois de plus vouloir faire taire la parole des femmes. C'est comme de dire que les femmes mentent quand elles disent avoir été violées, ou frappées, ou harcelées. C'est exactement la même chose, il ne faut pas invisibiliser ces violences, et il faut les comprendre. De ce fait mon conseille serait de se méfier de ceux qui font taire celles qui dénoncent ces violences et la traite d'êtres humain.e.s. toutes personnes qui disent qu'elles mentent. Et finalement, pensez aussi à déconstruire les intérêts, qui a le profit, qui gagne de l'argent, et de voir qui n'en a aucun à se battre pour une cause. les abolitionnistes ne gagnent rien, juste à se faire insulter. 

Voilà je pense que j'ai fait le tour de la question.
Aujourd'hui je prône plus que jamais l'adage MON CORPS MON CHOIX, il est inhérent à la personne que je suis, il est gravé dans ma peau. Mais mon choix, je suis obligée de travailler à le récupérer, à apprendre à faire la différence entre quand je désir réellement quelque chose, ou quand je pense que c'est ce qu'on attend de moi. Aujourd'hui j'espère m'être détachée de la notion de consumérisme et de profiter de ma sexualité comme je l'entends c'est à dire sans contraintes sociales, sans obligation de performances, juste comme j'en ai envie, quand et si j'en ai envie.
Et plus que tout, je me bat pour que cette société n'utilise pas le mot de choix dans un discours libéral qui est uniquement là pour la consommation et qui se sert des discriminations et des violences pour jouir des fruits de cette consommation.


ps: Lien vers une compilation des études faites sous ce prisme.






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